Salaires : Les macronistes inventent le droit de veto du MEDEF à l’Assemblée Nationale

Retrouvez ci-dessous le discours que j’ai prononcé à la tribune de l’Assemblée Nationale le 26 juin 2023.


Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre, 
Collègues, 

Commençons par dissiper l’enfumage. Il y a quelques instants M. Dussopt s’est gargarisé à cette tribune. Il a vanté la démocratie sociale qui permet que soient conclus des textes comme l’accord national interprofessionnel du 10 février dont traite ce projet de loi. Mais enfin, depuis la pension de retraite à 120 €, les français savent bien que cette cascade a été réalisée par un professionnel du retournement de veste et du mensonge. 

Entendre M. Dussopt parler de démocratie sociale est aussi crédible qu’entendre Gargantua affirmer qu’il se lancerait dans un programme minceur. Comme les Ogres, les dévoreurs de droits sociaux ne sont jamais rassasiés.
En effet, M. Dussopt, si vous étiez sincèrement pour la démocratie sociale, et même de la démocratie tout court, alors vous auriez laissé notre Assemblée rejeter ou abroger la réforme des retraites. 
C’est là le premier motif de cette motion de rejet : nous ne vous laisserons pas tourner la page des retraites en instrumentalisant ce texte pour votre communication !

Ce texte que vous nous présentez aujourd’hui n’est pour vous qu’un alibi. Un alibi du “dialogue social”. Un alibi du “pouvoir d’achat” d’un gouvernement qui n’aura rien fait depuis un an pour augmenter les salaires.

C’est le second motif de cette motion de rejet.  Nous voulons dénoncer la censure que vous pratiquez : la hausse des salaires est pour vous, à travers ce texte, un débat interdit ! C’est pourtant la question numéro un dans le pays : du motoriste Man Diesel à St Nazaire jusqu’à à Disneyland Paris, du nettoyage industriel comme chez Atalian ou ISS jusqu’à Carrefour, ou Grand Frais de Verbaudet à la fonction publique. Partout les travailleurs réclament le juste salaire, et partout vous vous y opposez !

Alors oui, nous affirmons ici que la hausse des salaires est une revendication totalement légitime. C’est une mesure d’urgence sociale quand les prix alimentaires augmentent de 17%. C’est une question de justice quand les profits et les marges de bien des industries explosent sur le dos des consommateurs ! C’est une nécessité économique quand le pays va vers la récession. C’est enfin indispensable d’un point de vue écologique si l’on veut que les Français puissent consommer mieux, soutenir la filière bio en difficulté, faire vivre les producteurs locaux plutôt que le low-cost mondialisé.

Il y a urgence.  
Car la prédation du capital ne ralentit pas, au contraire ! Voyez ces grands patrons qui gagnent 1200 fois le salaire moyen de leur entreprise comme M. Carlos Tavares, PDG de Stellantis. 4 000 fois le Smic. Un smic mensuel toutes les 2 heures ! De quel droit cela est-il permis sinon par la toute-puissance du capital ? En 10 ans, la rémunération des PDG du CAC 40 a augmenté de 90%. Dans les 100 plus grandes entreprises françaises, entre 2011 et 2021, les versements aux actionnaires ont augmenté de 57% alors que ceux pour les salariés n’augmentaient que de 22% ! Cette oligarchie vit au-dessus de nos moyens ! 

Nous l’avons vu encore récemment chez Total : en novembre, la direction et votre gouvernement refusaient la hausse de 10% pour les salariés. Quelques semaines plus tard, le PDG M. Pouyanné s’augmentait lui, de 23% sans que le gouvernement ne s’émeuve ! La France est aujourd’hui un paradis pour millionnaires et actionnaires. Notre pays est champion d’Europe des dividendes versés aux actionnaires.

Mais comme le disait déjà Victor Hugo, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches ! En effet, les salaires réels, c’est-à-dire une fois l’inflation prise en compte, ont baissé l’an dernier. Et le travail ne protège plus de la pauvreté : la France compte 1,2 million de travailleurs pauvres ! Voilà le bilan du macronisme, l’injustice à tous les étages ! Pire encore, en 2019, 45% des dividendes et rachats d’action par les 100 plus grandes entreprises françaises auraient suffi à couvrir leurs besoin investissements dans la transition écologique. Les dividendes sont climaticides ! Les actionnaires sont écocidaires !

Il y a au fond de votre texte une contradiction flagrante entre le titre et le contenu de ce projet de loi. Dans le titre, il est question du partage de la valeur. Dans les articles, il n’est question que de partage du profit ! Or la valeur créée ne se résume pas au profit. Le profit n’est rien d’autre que la valeur créée par les salariés mais qui leur a été volée par un salaire plus faible que la richesse créée par leur travail. Parler ainsi de “partage de la valeur” pour indiquer le seul partage du profit, c’est exclure d’emblée d’augmenter les salaires.

Encore une fois, la 5e République et les choix du gouvernement corsètent l’Assemblée nationale. Vous avez volontairement choisi de restreindre le champ de ce texte à la simple transposition de l’accord du 10 février. Cela vous permet d’écarter les amendements qui s’en éloignent même un tout petit peu. Pour ceux qui restent, ce sont les fourches caudines du désormais tristement célèbre article 40. Ainsi, vous avez interdit de débattre des questions suivantes :

  • Augmenter le Smic à 1600 euros : irrecevable
  • Indexer les salaires sur l’inflation : irrecevable
  • Encadrer les écarts de salaires de 1 à 20 au sein d’une entreprise : irrecevable
  • Obliger les branches à augmenter les bas salaires pour éviter l’écrasement par le SMIC : irrecevable
  • Revaloriser le salaire minimum des apprentis : irrecevable
  • Conditionner les versements de dividendes à des hausses de salaires : irrecevable

Et il en va de même quant à notre volonté de faire avancer l’égalité salariale entre femmes et hommes que vous avez systématiquement empêchée en refusant :

  • De renforcer la rémunération des heures complémentaires des salariés à temps partiel 
  • De créer une commission de contrôle salarié pour vérifier l’égalité salariale 
  • D’imposer une prime obligatoire pour les entreprises qui ne justifient pas de l’égalité de salaire 

Nous portons ces propositions face au refus obstiné du gouvernement, de la minorité présidentielle, du Rassemblement national et du patronat d’augmenter les salaires et de partager les richesses ! 

Au moment des débats sur les retraites, vous avez empêché l’Assemblée de voter par brutalité. Vous avez défendu ainsi le droit de veto du monarque présidentiel contre les représentants du peuple. Avec ce texte, voici une nouvelle invention de votre part. A court d’arguments, vous inventez une autre irrecevabilité, politique ! Patronale devrais-je dire. Vous prétextez alors de devoir “respecter l’accord” et ne pas accepter qu’on le modifie “sans l’accord des signataires”, c’est-à-dire à vos yeux essentiellement sans l’accord du patronat. Maintenant vous inventez donc le droit de veto du MEDEF sur le Parlement ! Après l’irrecevabilité de l’article 40 sur les retraites, pour les salaires vous inventez l’irrecevabilité CAC40 ! Après le 49.3, vous inventer en quelque sorte le CAC40-9-3 ! 

Nous refusons cette nouvelle restriction du pouvoir de notre Assemblée. Nous rappelons d’abord que toutes les organisations syndicales n’ont pas signé cet accord national interprofessionnel. Nous rappelons aussi que le 15 juin dernier, toutes les organisations syndicales à l’unanimité, ont appelé “partout les salarié.es à revendiquer, à négocier et se mobiliser pour gagner des augmentations de salaire”. Preuve que si ce sujet n’est pas dans l’accord du 10 février, ni dans le projet de loi, ce n’est pas de la responsabilité des syndicats. C’est de la responsabilité du gouvernement qui n’a pas exigé dans sa lettre de cadrage de la négociation que ce sujet fasse partie de la discussion. C’est la responsabilité du patronat qui a refusé qu’il en soit question. 

Pour notre part, nous nous considérons pleinement légitimes pour défendre ce que réclame l’ensemble de l’intersyndicale unanime : des hausses de salaires ! 

D’une manière plus générale, vous faites mine d’oublier que cet accord n’est pas la démocratie sociale. La démocratie suppose l’égalité, or il n’y a pas d’égalité entre salariés et patronat. Cet accord est seulement l’expression d’un rapport de force dans lequel le patronat tient le stylo. Vous faites mine d’oublier enfin qu’il est du rôle du parlement de se prononcer sans se voir cantonné aux miettes concédées par le MEDEF. C’est même anticonstitutionnel que de prétendre empêcher le parlement de se saisir pleinement. En effet, l’article 34 de la Constitution prévoit que “La loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale”. C’est donc bien la LOI qui décide en la matière.
Notre assemblée a donc le droit, et le devoir, d’examiner, d’amender et si besoin de compléter ou rejeter les accords conclus si nous estimons que l’intérêt général le justifie. Et les intérêts particuliers ayant conduit à la signature d’un compromis ne sont pas automatiquement synonymes d’intérêt général du pays. Telle est la conception républicaine de l’ordre public social à laquelle nous sommes si profondément attachés comme à la République sociale elle-même. Et en l’espèce l’intérêt général du pays c’est la hausse des salaires et la préservation des recettes de la Sécu ! Et ces deux éléments sont menacés par votre texte.

Car ce texte repose sur une illusion dangereuse pour les salariés. Entendons-nous bien : qu’une entreprise distribue une partie de ses bénéfices à ses salariés est la moindre des choses. Mais cela est déjà possible. Toutes les entreprises, même dans les plus petites, peuvent verser une prime exceptionnelle ! En revanche, les niches sociales et fiscales au profit des primes, de l’intéressement et de la participation, sont des pousse-au-crime anti-salaires et anti Sécu.

Or c’est là le cœur de ce texte. Et en encourageant ces dispositifs vous allez renforcer les primes au lieu de pousser à la hausse des salaires. C’est l’exemple de la prime Macron : elle a privé les salariés qui l’ont touché de 240 euros de hausse de salaire chacun ! Elle ne sert d’ailleurs qu’à ça ! Car pour le reste, c’est un échec. 70% des salariés n’ont rien touché. Et ceux qui l’ont touché ont perçu des montants bien loin des 6000 euros du plafond relevé à grand renfort de démagogie l’été dernier ! Et vous voulez encore continuer dans cette voie ?

Autrement dit : les salariés sont invités à se serrer la ceinture pour espérer percevoir une partie du bénéfice que leur travail gratuit aura constitué, mais après que les actionnaires se sont servis du plus gros morceau. Mais ce n’est pas avec des primes qu’on convainc un propriétaire de nous louer un appartement, ce n’est pas avec des primes qu’on convainc un banquier de nous prêter pour acheter un logement ou même une voiture ! Ce n’est pas avec des primes qu’on ouvre des droits à l’assurance chômage et à la retraite mais avec des hausses de salaires ! Cette « désocialisation » des rémunérations est une arnaque partagée entre Macronistes et Lepénistes.

Le mot lui-même traduit l’horreur de la chose. M. Macron comme l’extrême-droite auront beau jeu ensuite de venir pleurer une soi-disant dé-civilisation. Mais la “désocialisation”, c’est-à-dire l’affaiblissement de la Sécurité sociale, et la défiscalisation, c’est-à-dire l’appauvrissement de l’Etat et de ses services publics, sont au cœur de l’effondrement néolibéral de nos sociétés, de l’abandon de chacun au tous contre tous, ce que nous nommons pour notre part la dissociété.

Vous versez des larmes de crocodiles sur le soi-disant déficit des retraites mais vous présentez un projet de loi qui va encore affaiblir la Sécurité sociale par des exonérations de cotisations. Selon la Cour des comptes, les exonérations représentent plus de 2 milliards d’euros de manque à gagner pour la Sécu chaque année sur intéressement, la participation et les primes ! Et avec ce texte comme avec les amendements de certains députés macronistes, vous voulez renforcer les plans d’épargne retraite par capitalisation !

Il faut aussi souligner que ces dispositifs de primes profitent davantage aux salaires les plus hauts qu’aux plus mal payés, davantage aux cadres qu’aux ouvriers et employés, davantage aux hommes qu’aux femmes. En les encourageant aveuglement, vous encouragez – peut être à votre corps défendant pour certains – l’inégalité, et même l’injustice, des rémunérations. Vous avez d’ailleurs refusé en commission tous les garde-fous que nous avons proposé. Ce projet de loi ne menace pas que les salaires. Il menace selon nous les dispositifs existants de partage du profit. 

La prime Macron, décidée unilatéralement par l’employeur, risque de cannibaliser l’intéressement qui nécessite au moins un accord collectif. Le “plan de valorisation” de l’entreprise risque de vampiriser l’actionnariat salarié en niant le droit de vote. Ce texte va menacer les maigres pouvoirs des salariés alors qu’il faudrait faire tout l’inverse jusqu’à leur confier la direction des entreprises !

Enfin, vous prétendez par ce texte lutter contre une forme de salariat à deux vitesses entre grands groupes et PME. Mais si vous vouliez vraiment lutter contre cela, vous lutteriez contre la sécession des ultra-riches, contre les superprofits, contre les superdividendes, contre les super-patrimoines. Vous ne faites rien de tout ça.
Si vous vouliez vraiment aider les PME, vous créeriez la caisse de solidarité inter-entreprises que nous proposons, vous plafonneriez les frais bancaires pour les PME, vous renforceriez les devoirs des donneurs d’ordre à l’égard des sous-traitants, vous auriez voté avec nous pour rétablir l’accès des PME au tarif réglementé de l’électricité !
Et dans ce texte, vous auriez accepté les amendements de la NUPES qui veulent s’attaquer à l’évasion fiscale des grands groupes.

Par ce texte, vous affirmez votre préférence actionnariale et par notre opposition nous affirmons notre préférence salariale, notre priorité sociale. Par cette motion de rejet, nous refusons votre autoritarisme et le droit de veto du MEDEF sur les hausses de salaires. Nous refusons un nouvel affaiblissement de la Sécurité sociale qui vous permettra de venir ensuite exiger de nouveaux reculs en matière de retraite, en matière de chômage, ou justifier de nouveaux déremboursements comme vous le faites sur les soins dentaires et peut-être demain sur les médicaments.

Par cette motion de rejet, nous clamons que nous avons au contraire besoin d’une vraie loi pour la hausse des salaires et le partage des richesses. Augmentez les salaires, pas les actionnaires ! Voilà ce que vous disent les Français. Par cette motion de rejet, nous refusons donc la confiscation du débat, la confiscation des richesses, et tout bonnement la confiscation du juste salaire pour les travailleurs, qui, seuls, créent la valeur dans notre pays.