En finir avec le dogme du libre-échange

Nous reproduisons ci-dessous la tribune publiée le 15 janvier dans le journal l’Humanité.


Le 16 janvier prochain, le groupe La France insoumise organise, à l’Assemblée Nationale, un débat public sur les accords de libre-échange. Le libre-échange ? Voilà une question que l’exécutif se garde bien de soulever, et que les « grands » médias choisissent généralement d’ignorer. En coulisse, pourtant, les négociations vont bon train, et les traités commerciaux se sont enchaînés sans que jamais les peuples n’aient leur mot à dire.   

Ainsi, il y a quelques semaines seulement, le Conseil de l’Union européenne a validé, en toute discrétion, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande. L’objectif affiché par les promoteurs de cet accord, qui éliminera les droits de douanes sur la quasi-totalité des produits, est d’augmenter le commerce bilatéral de 30% en l’espace de 10 ans. À terme, ce sont des dizaines de milliers de tonnes de viandes ovines et bovines, de beurre, de fromage néozélandais, qui, totalement ou partiellement exemptes de droits de douane, devraient être importées sur le continent. 

Cet accord fragilisera des secteurs entiers de l’agriculture française, dont les productions se trouveront mises en concurrence avec des marchandises néozélandaises moins chères, car produites à plus bas coût. L’élevage français, déjà fragilisé, devra faire face à un nouvel afflux des viandes d’Océanie. Les producteurs de lait hexagonaux, déjà engagés dans une rude compétition, auront à affronter un pays, la Nouvelle-Zélande, qui fait déjà figure de « laiterie du monde ». Ce mauvais coup porté à nos agriculteurs est une folie, à l’heure où l’on prétend viser la souveraineté alimentaire. 

Sur les plans écologique et sanitaire, l’accord n’est pas moins néfaste. Voué à accroître encore et toujours les échanges internationaux, il ne pourra que contribuer à l’augmentation absurde des émissions de gaz à effet de serre liées au transport de marchandises. En outre, il rend possible un contournement des normes sanitaires et environnementales européennes, en permettant de facto l’entrée sur le territoire européen de produits dérogeant à nos standards. Ainsi pourra-t-on, par exemple, trouver sur les étals français de la viande néo-zélandaise dont la production fait intervenir de l’atrazine , herbicide toxique et polluant prohibé par 42 pays dans le monde, dont tous les États de l’Union européenne depuis 2004. 

C’est pour ces raisons qu’une cinquantaine d’associations, collectifs et syndicats d’Europe et de Nouvelle-Zélande (Attac, Stop Tafta / Stop Mercosur / Stop CETA, CGT, FSU, Amis de la Terre, Confédération paysanne…) se sont prononcés publiquement contre cet accord, et ont tâché d’alerter les populations. 

Mais cette mobilisation n’a pas suffi à enrayer la machine. Le Conseil de l’UE a fini par signer l’accord, en catimini. Les négociations préparatoires avaient débuté en 2018. Elles se sont poursuivies, dans la plus grande opacité, et avec le plein assentiment de l’exécutif, pendant la pandémie de COVID19 – c’est-à-dire au moment même où les dirigeants français et étrangers nous promettaient une nouvelle organisation de la production mondiale, et la relocalisation des activités stratégiques. Au plus fort de la crise, le président Macron avait lui-même affirmé : « Déléguer notre alimentation [à d’autres] est une folie ». Aujourd’hui, on peut mesurer ce que valaient ces déclarations élyséennes. 

Le texte, qui s’inscrit dans une longue série d’accords de libéralisation commerciale, montre que les élites européennes, prisonnières de schémas obsolètes, sont incapables de répondre aux exigences du moment historique dans lequel nous nous trouvons. Car l’illusion de la « mondialisation heureuse » et du « doux commerce » a vécu. Le temps des grands traités de libre-échange est passé. Intensifier toujours plus les échanges de marchandises entre les deux hémisphères ; aller chercher à 20 000 kilomètres de chez nous la viande ou le lait que nous pouvons produire ici, en France ou en Europe ; nous rendre dépendants de longues chaînes d’approvisionnement de plus en plus vulnérables aux risques géopolitiques : tout cela n’a aucun sens. La plupart des grandes puissances l’ont compris et commencent à réorganiser sérieusement leurs systèmes commerciaux. L’UE, seule, reste prisonnière de la lubie libre-échangiste et continue d’enchaîner, avec zèle et bonne conscience, les accords bilatéraux. À peine le traité UE/Nouvelle-Zélande était-il conclu que l’UE signait avec le Chili une version « modernisée » de l’accord de libéralisation du commerce et de l’investissement, qui sera soumise au Parlement européen dans les prochaines semaines. En attendant la conclusion d’un accord avec le MERCOSUR, le Kenya, le Mexique, l’Australie… 

Pour continuer dans cette voie, envers et contre tous, nos dirigeants ont besoin de l’opacité. Ils doivent éviter la lumière du débat public, qui avait été fatale au Tafta (2019) comme au TCE (2005).  Ils présentent donc ces accords comme purement techniques, et les soustraient systématiquement à la représentation nationale. Depuis le CETA en 2019, aucun accord de libre-échange n’a été soumis au vote des parlementaires français. 

Cet escamotage n’est pas acceptable. Les accords commerciaux de cette envergure sont éminemment politiques. Ils ont des conséquences lourdes sur la vie des gens. Le peuple français et ses représentants doivent pouvoir les examiner et les juger.  Nous aurions voulu que l’accord avec la Nouvelle-Zélande soit soumis à l’approbation du Parlement français. C’eût été la moindre des exigences démocratiques, pour un texte qui affectera notre agriculture, notre économie, notre souveraineté, notre environnement. Le gouvernement restant sourd aux demandes, la France insoumise a pris l’initiative du débat. Ce sera l’occasion de poser les vraies questions. Et d’opposer aux obsessionnels du libre-échange, qui organisent et encouragent depuis trop longtemps le grand déménagement du monde, l’option que nous défendons : celle d’un protectionnisme solidaire.

  • Mathilde Panot, Présidente du Groupe LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale
  • Manon Aubry, eurodéputée France Insoumise, co-présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, cheffe de file de La France Insoumise aux élections européennes
  • Aurélie Trouvé, Député LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale, ancienne porte-parole d’ATTAC
  • Matthias Tavel, Député LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale
  • Nathalie Oziol, Députée LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale
  • Arnaud Le Gall, Député LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale